“Mais non !, lâcha t-il. Je ne veux pas y croire.”
Seul être humain à des lieues à la ronde, au milieu de cet immense champ de givre, il avait l’impression d’être l’unique survivant d’une guerre.
“Si je ne suis qu’un personnage, alors tout ce que je fais n’a aucun sens. Je peux lever la main, sauter, courir… ”
Sa voix s’éteint dans un chuintement. Il lève la main, fait danser ses doigts rougis de froid, observe le jeu des articulations qui glissent sous la peau.
“Si je ne suis qu’un personnage, rien de ce que je fais n’a de sens. Même ma pensée n’a pas de sens. Puisque tout ce que je pense, toutes mes interrogations, ont été placées dans ma tête.”
Son souffle s’échappe en nuée de brume.
“Je ne produirais rien de vrai, ni rien à moi.”
Le ciel est gris, l’herbe craque sous ses pas. Il s’arrête.
“Au-delà des mots, pas encore écrits, des lettres, pas encore tracées, je ne suis que… quoi ? Une page blanche ?”
Il reprends sa marche. Son pas est furieux, martèle la terre glacée.
“Celui qui m’écrit pourrait faire n’importe quoi de moi. Devenir idiot, sourd, aveugle. Aveugle !” Il répète. Il répète, avec, comme une brisure dans la voix.
“Je pourrais avoir un accident de voiture, me marier, tromper ma femme, avoir des enfants, détester les enfants, que ce serait celui qui écrit. Je n’ai pas de vie.”
Il s’arrête. Il a comme une révélation. Il lève les yeux vers le ciel. Un soupir.
“Je n’ai pas de vie si celui qui écrit arrête de tracer les mots.”